Pendant de longues années, avec une régularité de métronome, Jellal Ben Abdallah a exposé une fois par an. Puis, avec l'âge, il s'est fait plus rare, même si à aucun moment, il n'a délaissé son atelier.

Né en 1921, Jellal Ben Abdallah était le doyen des artistes tunisiens. Sa disparition récente laisse un grand vide et renvoie à une oeuvre foisonnante, à cheval sur deux siècles et riche de retrouvailles ardentes avec notre patrimoine.

On a dit de de Ben Abdallah que son oeuvre prenait sa source dans un mirage. Cela sonne si vrai lorsqu'on est face aux créations de cet artiste. D'ailleurs, ce mirage semble jaillir quelque part au coeur du golfe de Tunis, entre la majesté inaltérable du Boukornine et l'errance de l'eau dans laquelle on ne se baigne jamais deux fois.

Reconnaissables entre toutes, les oeuvres de Ben Abdallah sont en effet un éloge de cette fluidité méditerranéenne, de ce bleu de l'horizon qui se confond avec la mer.

Chez ce peintre, l'évasion est toujours au rendez-vous d'une sorte de féerie qui sublime les visages, leur donne une gravité d'archétypes et une légèreté de songes.

De grands yeux noirs peuplent ses oeuvres sur fond de nostalgie des médinas. Habits traditionnels, bains maures, instruments de musique, rouets et parfums installent un univers féminin.

Ben Abdallah est d'abord miniaturiste et, à ce titre, alliait la méticulosité à la rigueur. Ses oeuvres, de la plus minuscule des miniatures à la plus débridée des fresques, respirent la justesse.

Bien sûr, son monde propre est toujours présent avec ses reflets, ses céramiques obsédantes et son bleu azur. Et les femmes qu'il peint portent une touche bien particulière avec leurs chevelures impressionnantes et leurs attitudes évanescentes. Ce grand artiste est l'un des rares à pouvoir atteindre la grâce avec une simple nature morte qu'il sublime d'un jasmin resplendissant, d'un fond outre-mer ou d'une coupole qui se détache.

Une esthétique du quotidien et une renaissance du temps jadis sont les traits fondamentaux des peintures de Jellal Ben Abdallah. Sensuelle, populaire et universelle, sa peinture est née de la passion, pour éternellement brasser souvenirs et beauté. Puisse-t-il reposer en paix, il nous a légué une oeuvre immense et aurait eu un siècle en 2021.